Présentation de l’exposition Stalagmitus Digitus Stalactita Purusa réalisée aux ateliers Bonus de la ville de Nantes en avril/mai 2021 par Lucie Camous:
Derrière « Doigts Stalagmite, Pénis stalactite » se cache la rencontre de Cornelia Eichhorn et d’Anne-Sophie Yacono. Dans ce jeu, entrechoquant formules latines et soudaines apparitions effrontées de membres triviaux, on y lit, au-delà d’une certaine bouffonnerie Rabelaisienne, une volonté de rebattre les cartes. Ces artistes, traversées par le constat de l’absurde répétition de systèmes de dominations, de classes et de genres, dévoilent leurs rouages en désignant le corps comme lieu de révélation et de résistance.
Les humains sont des êtres sociaux bien étranges. Leur fonctionnement de groupe comme leurs rapports de forces hiérarchiques repoussent Cornelia Eichhorn et d’Anne-Sophie Yacono aux confins de l’horreur. L’envie d’en saisir les mécanismes les pousse à développer des langages plastiques où le corps est matière première d’expérimentation. À la surface, la peau protège autant qu’elle enregistre. Affamées de curiosité, les deux plasticiennes pétries de voyeurisme n’ont de cesse d’aller voir plus profondément encore.
Cornelia Eichhorn, incise du bout du scalpel la complexité de nos rapports humains au bord de l’effondrement et cherche à mettre à nu les tensions et intentions qui les traversent. En recomposant des corps désarticulés dans des postures impossibles elle saisit les injonctions contradictoires qui les imprègnent puis met en images leurs tentatives désespérées de s’en défaire.
Anne- Sophie Yacono, elle, se poste en agent révélateur d’une frontière plastique vers un monde parallèle : « Chatteland » dédié à tout ce qui est autre que masculin. Ici des organes indifférenciables, fusionnent, s’étendent doucement et s’essayent ensemble à de nouvelles mutations érotiques et baroques.
Depuis cette union apparaît un véritable écosystème se jouant des échelles et des dimensions. Il renferme un microcosme fait d’os et de chairs palpitantes qui s’agitent au contact des regardeurs pour mieux les entraîner dans une exploration totale. Dans cet espace, les couleurs activées par les artistes, se mettent à vibrer, se fondent et entrent en mouvement pour mieux brouiller les pistes entre les œuvres qui semblent prêtes à tout envahir sur leurs passages. Libres et indépendantes loin des structures contraignantes de leurs cadres, elles croissent du sol au plafond et, prisent dans leurs lancées viennent se connecter les unes aux autres pour s’étendre jusqu’à nous. En prenant vie, ces formes et objets inertes questionnent à la fois « l’être » et le « faire semblant » en action dans nos relations aux autres comme dans nos rapports intime à nous-même.
Les jeux visuels d’Anne Sophie Yacono et l’humour cartoonesque de Cornelia Eichhorn captivent en convoquant nos yeux d’enfants. Les racines de leurs inspirations s’ancrent dans nos premières fréquentations de la violence du monde des adultes : les contes, les mythes et les légendes qui peuplent nos imaginaires collectifs et nous façonnent. De la philosophie à la psychanalyse leurs pensées sont irriguées de textes fondateurs et s’encrent profondément dans la littérature de Kafka à Lovecraft.
Notre inconscient vient traverser le miroir déformant qu’elles nous tendent. De l’autre côté leurs pièces s’exposent sans pudeur à la vue de tous et viennent révéler ce qui, de l’extérieur, nous touche et nous influence. Pourtant, passée la stupeur du premier regard, nul effroi ne s’empare de nous. Il est tentant de se rapprocher, l’œil est vite pris dans les pièges tendus de couleurs vives. Ils attirent, près, de plus en plus près, jusqu’à nous faire plonger tout entier au cœur d’un univers où tout semble inversé, aucun code respecté, où tout devient possible.
Lucie Camous, 2020