« L’univers pénètre en nous par les déchirures du corps » écrivait Simone Weil. Faire face aux portes de Chatteland demande courage, audace et force. Ce lieu indéterminé ou fictif se trouve partout et nulle part à la fois. Connaissant les secrets de ce monde entre les mondes, Anne-Sophie Yacono, peintre, dessinatrice convoque, avec cette installation massive et éloquente constituée de 11 sculptures en céramique émaillées avec socles en bois sculptés teints et cirés, une nouvelle manière d’appréhender la texture charnelle du corps. Il s’agit d’être attentif au champ de la chair. Les portes de Chatteland sont une parcelle de ce monde aux paysages vulvaires, oraux et sous marins. Depuis plusieurs années, Anne-Sophie Yacono fabrique la cartographie de ce pays imaginaire qui a peut être existé ou qui existera. Oscillant entre science fiction, mysticisme et histoire des corps, la création de ce monde imaginaire à la fois menaçant, attrayant et fantasmé souligne l’importance de l’adversité mise à l’épreuve.
Les œuvres d’Anne-Sophie Yacono sont burlesques, carnavalesques dans son rapport premier et primaire au corps et à la chair. Bouillasses informes et gigantesques, certaines de ses peintures représentent et suggeèrent des amas de corps qui tendent vers une abstraction cachant toute une part figurative faite de tracés. L’onirisme se conjugue avec le côté fictionnel d’un monde à part entière. Par cette incroyable métamorphose de la « viande humaine », ses sculptures en céramique tout comme ses peintures de très grand format nous absorbent, nous ingèrent littéralement. Projetés dans ces paysages-boyaux, à la fois intérieur et extérieur du corps, cette chair rose guimauve donne l’envie d’être triturée ou d’être mâchouillée comme un bonbon bien gélatineux. Loin d’être sanguinolentes, ces œuvres retournent les fantasmes dans tous les sens. Sensualité, sexualité et supplices charnels sont mis hors du temps, placés dans les méandres de Chatteland qui nous invite à découvrir petit à petit cet autre monde où les rapports de pouvoir et de désir se confondent.
Marianne Derrien, 2014